S’il ne fallait retenir qu’une poignée de films pour illustrer tout le génie de Big John en matière de cinématographie fantastique, L’antre de la folie trônerait sans aucun doute dans un mouchoir de poche avec The Thing sur le podium.Illustrant à merveille le glissement progressif d’une réalité tangible à un cauchemar des plus tourmentés, le film suit les recherches d’un enquêteur sur les traces d’un écrivain horrifique superstar disparu.
Si le contexte du film pourrait facilement penser à croire que le sujet fait référence à Stephen King, c’est pourtant à l’un de ses plus illustres prédécésseurs que Carpenter rend ici hommage. De l’aveu même du réalisateur, Howard Phillips Lovecraft, écrivain américain du début du 20ème siècle, a bercé son enfance et nourrit son imagination en alimentant alors ses peurs nocturnes (Le cauchemar d’Insmouth notamment, que John Carpenter lisait à l’age de 11 ans avec une lampe torche sous sa couverture). Lovecraft basa la plus grande partie de son oeuvre, et logiquement toute sa célébrité, sur une mythologie sombre et suggestive. Celle-ci imagine que des grands « Anciens », monstres et créatures protéiformes démoniaques, bien plus vieilles que l’humanité, sont tapies dans certains coins reculés, et n’attendent que le moment propice pour revenir prendre possession des lieux où l’homme n’assurait jusqu’alors que l’intérim.
L’antre de la folie (In the mouth of madness en v.o.) réussit donc parfaitement à retranscrire cette atmosphère si particulière qu’on peut ressentir en lisant du Lovecraft. Et ce malgré des différences de traitement, notamment dans la façon d’aborder l’horreur. Si l’écrivain anglais était un adepte de la suggestion et de l’ambiance, sans jamais verser dans la démonstration facile, Big John ici n’hésite pourtant pas à illustrer de façon explicite certaines des créatures cauchemardesques prenant vie. On pense notamment à la grand-mère logeuse dans sa cave, dont la métamorphose n’a rien à envié aux sublimes créatures de The Thing. Néanmoins le résultat ne tombe jamais dans le grand guignolesque, Carpenter, maître de l’horreur s’il en est, sachant tout aussi bien réaliser des séquences beaucoup plus subtiles, mais tout aussi terrifiantes si ce n’est plus, comme celle de l’église où est retranché Sutter Cane.
Bien que Carpenter n’ait jamais été très porté sur une mise en scène réflective, et plutôt adepte d’un ciné d’exploit’ décomplexé, force est de reconnaitre que pas mal de ces films porte, consciemment ou inconsciemment, un jugement sévère sur l’image et les médias en général. Ainsi, si dans Invasion Los Angeles, c’était la publicité et la presse qui faisait les frais de ses critiques comme manipulateur surpuissant des masses, il semble que L’antre de la folie serve plutôt de catalyseur sur un jugement du public fasse aux oeuvres imaginaires (cinéma, littérature…) et de cette propension de plus en plus dominante, que la réalité de la fiction puisse devenir la réalité établie. Comme le dit d’ailleurs le personnage de Linda Styles dans le film : « La réalité n’est qu’une vue de l’esprit ». Carpenter suggérait-il que la place que prend l’imaginaire dans nos vies aujourd’hui tendrait à la rendre plus ou moins réelle ? Discours qui semble d’autant plus souligné dans une mise en abîme finale majestueuse où Sam Neill se retrouve dans une salle de cinéma déserté, sur l’écran de laquelle se joue le propre film dont il vient d’être l’acteur…
On notera que l’idée n’a visiblement pas encore quitté le monsieur, vu que quelques années plus tard il réalisera le non moins magistral Cigarette Burns, meilleur épisode à mon sens de la série Masters of Horror, et qui semble faire terriblement écho dix ans après à L’antre de la folie. L’épisode nous fait suivre alors la sombre histoire d’un enquêteur spécialisé à la recherche d’une bobine légendaire censée rendre fous tous ceux qui ont pu assister à sa projection. Probablement le fantasme ultime et innavoué de Carpenter, pionnier perpétuel de l’épouvante au cinéma…
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