Écrivain, historien, sociologue, notamment évangéliste de la notion de contre-culture, il aura fallut semble-t-il 20 ans à Théodore Roszak, écrivain américain pour accoucher de ce polar. Et 15 ans de plus pour qu’il soit traduit en France.
Un travail monstrueux qui transpire dès les premiers chapitres. La conspiration des ténèbres suit Jonathan Gates, jeune étudiant en cinéma, qui partage son temps entre sa thèse et les fauteuils du Classic, cinéma de quartier tenu par Clare, jeune femme cinéphile érudite et d’une froideur glaçante. C’est au sein de cette salle underground qu’il va faire la rencontre d’un cinéaste de seconde zone, disparu durant la 2nde guerre mondiale, Max Castle, et dont les films qui tiennent au premier abord plus de nanars fantastiques que de chefs d’œuvre, semblent néanmoins dégager une sorte d’attirance-répulsion étrange sur leurs rares spectateurs. Sur les traces du réalisateur allemand et au fil des années sur les quels vont s’écouler l’enquête, Gates va traverser l’histoire récente du cinéma bis, celle des templiers et de l’église, découvrir des techniques cinématographiques surprenantes et toucher du doigt le destin de l’humanité…
Même si c’est relativement habituel au cinéma, il est plus rare de voir des traductions de bouquins massacrées par le marketing. De Flicker en V.O. (le scintillement lumineux d’une projection de pelloche…), il semble donc que placer les mots conspiration, ténèbres et une image subliminale évoquant les templiers en couverture soient beaucoup plus vendeurs pour une époque éditoriale post-Da Vinci Code. Mouais. A mon avis ça risque d’en repousser plus d’un, ou du moins de ne pas attirer le bon public.
Car La conspiration des ténèbres est clairement destiné aux amoureux d’un certain cinéma, qu’on aime à appeler « bis ». Pas étonnant venant d’un historien à l’origine du concept de contre-culture. Baignant allègrement pendant 800 pages sur fond de salle obscure, l’écrivain s’amuse visiblement à revisiter l’histoire du cinéma des années 40 à 80 environ. Même si jamais le récit n’est daté, les rencontres de Gates et certains éléments visiblement inspirés de faits réels permettent souvent de se situer sur une certaine chronologie.
Ainsi, durant cette introspection, qui voit l’avènement à la fois d’une intellectualisation du cinéma en Europe mais aussi d’une montée en puissance d’un cinéma « Z » face aux studios touts-puissants, l’auteur amusera le lecteur en revisitant l’histoire et conspuant gentiment l’idolâtrie d’un Orson Welles ou d’un John Huston, ou en raillant certains critiques parisiens des sixties, pique appuyé contre les Cahiers semble-t-il, et une certaine idée du cinéma.
Dans le fond, une bonne partie du bouquin voit ainsi s’affronter plusieurs visions du septième art. Celle d’une Clare, reniant les émotions primales que peut lui procurer un film pour ne baser son avis que sur un esthétisme académique. Don le projectionniste pour qui peu importe le film, seul compte les paillettes et les billets verts. Les intellectuels parisiens, réduits à une théorie analytique froide du cinéma. Les jeunes adeptes des séances de minuit, qui semblent vouer un culte à la médiocrité. Et au milieu de tout ça, il y a Gates et le lecteur. Qui cherche là où personne ne veut regarder. Qui cherche Max Castle et le secret qui semblent entourer les tournages du réalisateur. Les divers passages de visionnage de bobines sont d’ailleurs parfaitement décrits, si bien qu’on semble être assis aux côtés du personnage et assister à la séance.
Si toute cette érudition s’arrêtait là, le livre tournerait vite en rond et lasserait facilement. Sauf que le génie de Roszak c’est d’inscrire et de mêler sa cinéphilie à certains mystères religieux. Et d’inclure le cinéma comme une évidente invention, nécessaire à un dessein monumental qui dépasse de loin de simples considérations artistiques. Se jouant des analogies historiques, mêlant vérité et fausses révélations anecdotiques, l’auteur arrive tout au long du récit à faire planer une ambiance de plus en plus pesante et oppressante. Culminant avec la rencontre notamment d’un digne descendant de Max Castle, Simon, jeune réalisateur terrifiant. A moins que cela ne soit finalement son public qui ne le soit…
La conspiration des ténèbres s’avale donc avec plaisir pour qui s’intéresse au cinéma, au-delà même des films, mais aussi à son histoire. Reste une fin qui pourra être déconcertante au vu du reste du récit. Mais cette conclusion, aussi surprenante soit-elle, apparaît bizarrement comme salvatrice après la plongée malsaine dont on ressort auparavant. Et elle ne fait qu’inscrire le cinéma dans l’histoire de l’humanité comme probablement l’art le plus primaire et le plus noble.
Note : La lecture de l’article de « L’Archiviste » Rafik Djoumi sur le bouquin, est chaudement recommandée. Sur son blog.
Note 2 : Le site de Max Castle est un joli clin d’oeil mystérieux.
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